Colloque pluridisciplinaire – 15 et 16 octobre 2025
Ծé de Montpellier Paul-Valéry, RIRRA21 (EA4209)
Les théories critiques à l’épreuve des arts plastiques
Colloque en hommage à Valérie Arrault
Tout artiste à l’œuvre trouve devant lui – c’est-à-dire aussi en lui – un monceau d’images, de représentations imaginaires, d’objets culturels et de produits audiovisuels dont il aura pour tâche de se déprendre, ne serait-ce que partiellement, afin de trouver son langage propre. C’est la raison pour laquelle la recherche en arts plastiques impose de prendre en compte les acquis des sciences sociales afin de ménager un écart vis-à-vis du donné socioculturel, et de faire un détour par la théorie afin que l’artiste puisse situer sa pratique personnelle au regard des dynamiques dominantes du monde contemporain. Ou pour le dire avec Adorno: « la liberté présume la connaissance consciente des processus qui causent la non-liberté ainsi que la force de résister» (Theodor W. Adorno et alii, Studien zum autoritären Charakter, Suhrkamp-Verlag, Francfort, 1973, p. 372).
Tout au long de sa carrière, des années 1980 à aujourd’hui, Valérie Arrault a travaillé à cet aller-retour permanent de la pratique artistique à la théorie, en privilégiant les aspects critique et poïétique de la recherche en arts plastiques, puisant ses outils dans la sociocritique d’Edmond Cros et Pierre Zima, dans la poïétique de Paul Valéry et de René Passeron, dans la théorie critique de l’Ecole de Francfort, ainsi que chez les auteurs dits «technocritiques».
Elle-même diplômée de l’Ecole Boulle, artiste peintre et photographe, Valérie Arrault s’est intéressée aussi bien à l’art moderne et contemporain qu’à l’architecture ou aux jeux vidéo, tout en montrant comment la dissolution des frontières et des hiérarchies en arts (beaux-arts/arts appliqués, arts majeurs/arts mineurs, culture légitime/culture de masse) pouvait faire le lit du néolibéralisme, la mythologie libertaire des contre-cultures servant par exemple fréquemment de carburant idéologique au capitalisme le plus débridé.
C’est à l’œuvre théorique de Valérie Arrault que ce colloque souhaite donc rendre hommage, en proposant à des chercheurs de toutes disciplines, mais intéressés à la chose artistique dans toutes ses dimensions, de reprendre les concepts qui ont été au centre de ses travaux: kitsch, narcissisme, utopie, industrie culturelle, homologies structurales, non-conscient culturel, etc.
Deux axes de réflexions sont proposés aux participants:
- Le premier consisterait à examiner la fécondité des concepts développés par Valérie Arrault, dans une perspective épistémologique de croisement avec d’autres disciplines telles que l’esthétique, la sociologie de l’art, les études filmiques, littéraires ou théâtrales, les sciences de l’information et de la communication, etc. Un tel examen se fera toutefois sous condition: contre tout émiettement du savoir, et contre l’oubli du facteur socio-économique dans la production de l’idéologie dominante, Valérie Arrault n’a de cesse de souligner, dans le sillage de l’école lukácsienne, l’importance méthodologique de la catégorie de la ٴdzٲé. Avec, en fond, une question: qu’est-ce qu’une attitude authentiquement critique dans l’étude des œuvres, des mouvements, des processus de création?
- Le second consisterait à prolonger l’élan des concepts travaillés par Valérie Arrault sur le plan de l’analyse des pratiques artistiques contemporaines. Dans une perspective de création-recherche, ces pratiques peuvent êtres celles des participants au colloque eux-mêmes, dans une logique d’élucidation par l’artiste-chercheur de ses choix en termes de médiums, de procédés et procédures, de messages. Autrement, elles peuvent être celles qui sont identifiables dans le périmètre défini par les institutions artistiques dominantes (c’est-à-dire les musées, les écoles des beaux-arts, la presse spécialisée et le marché de l’art financiarisé), ou encore dans le champ plus large de la création actuelle, qu’elles se présentent ou non comme contestataires.
Comité scientifique et d’organisation :
Emmanuelle Jacques (arts plastiques, UMPV)
Patrick Marcolini (philosophie de l’art, UMPV)
Karine Pinel (arts plastiques, UMPV)
Bibliographie sélective de travaux de Valérie Arrault:
«Au-delà de la couture», in Bernard Lafargue (dir.), Artiste, artisan, Pau, Presses universitaires de Pau et des Pays de l’Adour, Figures de l’art n°7, 2003, p. 311-324.
«La barbarie enchantée», in Marc Jimenez (dir.), La Création face aux nouvelles technologies, Paris, Klincksieck, coll. L’Ծé des arts, 2006, p. 23-34.
«Le pouvoir des critères artistiques occidentaux », in Marc Jimenez (dir.), Arts et pouvoir, Paris, Klincksieck, coll. L’Ծé des arts, 2007, p. 23-41.
L’Empire du kitsch, Paris, Klincksieck, coll. Esthétique, 2010.
« Les jeux sur Facebook : quelques paradoxes du gratuit et du convivial » (avec Emmanuelle Jacques), è, n° 62, Paris, CNRS éditions, 2012, p. 75-81.
« Droit et architecture à Las Vegas. Configuration d’une dislocation du temps et de l’espace », in Patricia Signorile (dir.), Droit et architecture. Reconsidérer les frontières disciplinaires, leurs interactions et leurs mutations, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2014.
«La bande dessinée, un média, un médium, un hybride singulier», in Alain Chante, Vincent Marie et alii (dir.), La Bande dessinée in extenso. D’autres intermédialités au prisme de la culture visuelle, Paris, Le Manuscrit, coll. Graphein, 2017.
Du narcissisme de l’art contemporain (avec Alain Troyas), Paris, L’échappée, 2017.
«Analyse sociocritique de la “neutralité documentaire” de l’œuvre photographique de Bernd et Hilla Becher», Sociocriticism, vol. XXXIII, n°1-2, Grenade (Espagne), Editoral Universidad de Granada, 2018, p. 83-107.
«La fusion entre l’art contemporain et la culture de masse, un bénéfice idéologique», in Cédric Biagini et Patrick Marcolini (dir.), Divertir pour dominer. La culture de masse contre les peuples, tome 2, Paris, L’échappée, 2019.
Autres ressources bibliographiques:
ADORNO (Theodor W.) et HORKHEIMER (Max), La Dialectique de la raison (1947), trad. E. Kaufholz, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1974.
BOLTANSKI (Luc) et CHIAPELLO (Ève), Le nouvel esprit du capitalisme (1999), Paris, Gallimard, coll. Tel, 2011.
CONTE (Richard) et PASSERON (René) (dir.), Paul Valéry, l’artiste en philosophie, Recherches poïétiques n°5, Presses universitaires de Valenciennes / Société internationale de poïétique, hiver 1996/1997.
CROS (Edmond), La Sociocritique, Paris, L’Harmattan, coll. Pour comprendre, 2007.
GOLDMANN (Lucien), La Création culturelle dans la société moderne, Paris, Denoël-Gonthier, 1971.
HEATH (Joseph) et POTTER (Andrew), Révolte consommée. Le mythe de la contre-culture (2004), trad. Michel Saint-Germain et Élise de Bellefeuille, Paris, L’échappée, 2020.
JAMESON (Fredric), Le Postmodernisme, ou la logique culturelle du capitalisme tardif (1991), trad. Florence Nevoltry, Paris, Beaux-arts de Paris éditions, 2007.
JARRIGE (François), Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences, Paris, La Découverte, 2016.
LASCH (Christopher), La Culture du narcissisme. La vie américaine à un âge de déclin des espérances (1979), trad. Michel L. Landa, Paris, Flammarion, coll. Champs-Essais, 2018.
LUKACS (Georg), Histoire et conscience de classe. Essais de dialectique marxiste (1923), trad. Kostas Axelos et Jacqueline Bois, Paris, Éditions de Minuit, coll. Arguments, 1976.
MARCUSE (Herbert), L’Homme unidimensionnel. Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée (1963), trad. Monique Wittig, Paris, Éditions de Minuit, coll. Arguments, 1968.
PASSERON (René), Pour une philosophie de la création, Paris, Klincksieck, coll. Esthétique, 1989.
ZIMA (Pierre), Manuel de sociocritique, Paris, Picard, 1985.